Auteur de jeux de société

Carnet d'auteur : After Us

De l’idée au contrat

La première idée du jeu After Us date de novembre 2016. A cette époque Imaginarium était encore en phase de finalisation. Je n’étais pas encore connu dans le monde du jeu, loin de là. Et un jour, j’ai l’idée de cette mécanique : on choisit l’ordre d’alignement des cartes pour créer des liens entre des éléments sur les bords des cartes. La première version était très basique, et pas du tout originale : on combinait un vaisseau spatial avec une planète. Sur chacun des deux types de cartes il y avait 3 cartouches coupés, et les rassembler faisait gagner plus ou moins de ressources/bonus/PV. Et puis je me suis dit que je pouvais rajouter des cartes, et jouer sur leur organisation, au lieu de n’avoir que 2 cartes à aligner. C’est une idée qui me plaisait beaucoup. Une sorte de puzzle. On crée des ressources sur la ligne du haut, on les transforme en d’autres ressources plus évoluées à la ligne du milieu, puis on valide des objectifs avec la ligne du bas pour remporter la victoire. Beaucoup de choses ont changé depuis cette première idée, mais la structure est toujours présente dans le jeu final : AFTER US.




La toute première version du jeu : Golems- version 1 - (15 novembre 2017)

Je suis encore à l’époque un jeune auteur. J’ai besoin de la validation des autres pour continuer à travailler sur l’idée. Du public, mais principalement des collègues auteurs et des copains éditeurs. Johan Benvenuto, avec qui j’ai commencé à l’époque à travailler sur L’Île de Pan et Cowboy Bebop, aime cette idée aussi. On décide un temps de travailler sur le jeu ensemble, mais je préfère finalement continuer le projet seul, ressentant le besoin de garder le contrôle de ma mécanique. Je la présente alors pendant des festivals pour la tester. Je l'ai notamment présentée au festival Alchimie du jeu en mai 2017, et j'ai malheureusement traumatisé Benoit Turpin. Oui, vous savez les 4 cartes qu’on aligne ? Dans cette version du jeu, on pouvait aller jusqu’à 9. C’était un peu trop. Pendant le festival, je l’ai également montré à Clément et Sébastien de Catch’up Games, qui ont trouvé la mécanique très intéressante, mais le jeu loin d’être fini. Ils m'ont demandé si ça me conviendrait de travailler ensemble sur ce projet, sans pour autant signer de contrat tout de suite. J’ai accepté leur proposition avec plaisir.


La version présentée à Catch’up Games : - version 2.1 - Golems (20 avril 2018)

En octobre 2018, nous avons finalement signé un contrat, avec Catch’up, pour le jeu « Golems ». Presque 5 ans plus tard, le jeu sort enfin en boutique.

La parenthèse Zoo Run

En novembre 2017, en allant courir, je me dis qu’on pourrait faire une version plus simple du jeu, beaucoup plus simple. C'est ainsi que j'ai eu l'idée de "Zoo Run" : on remplace les cartouches par des têtes et des fesses d’animaux. J'ai présenté le jeu lors du festival de Paris (PEL) en 2018 à Aurélie Raphaël, et il est sorti en 2019 dans la gamme LOKI : quelle efficacité ! Nous sommes en 2023 et 4 ans après la sortie du jeu, il continue de plutôt bien se vendre (il a même été sur la liste des jeux recommandés par le jury du Spiel des Jahres en 2020).


Zoo Run - LOKI (2018)



Mécaniques et thèmes

On part donc sur la création, principalement avec Clément – chez Catch’up, Clément et Sébastien gèrent chacun leurs projets, et se consultent en permanence, mais les auteurs ont un seul interlocuteur principal - , d’un jeu basé sur la mécanique des cartes qui avait bien plu. On a un moteur de production de ressources original. Oui, mais après… Et bien il nous faut maintenant réfléchir à la suite : que va-t-on faire de ces ressources ? Mon prototype de base avait une thématique et une finalité assez banales : on construit des golems, qui activent des artefacts, sortes d’objectifs de points de victoires. Nous avons, pendant 3 ans, associé la mécanique à plusieurs styles de jeux. Nous ne savions pas vraiment, à l’époque, quel public viser, quelle durée de partie nous souhaitions, ni la part de cette mécanique dans le jeu par rapport aux autres mécaniques : en faire une mécanique centrale ou secondaire ? Nous avons donc fait des prototypes de conquêtes de territoire, de jeu coopératif, de jeu de collection, de jeu de parcours… au total plus de 20 versions de jeux totalement différents. Le nom de code du projet restait « Golems ». Mais nous avons exploré beaucoup d’univers. Nous avons par exemple aussi testé, à un moment du jeu, une version dans l’univers de Mad Max, ou chaque carte (les singes actuels) représentait un trajet dans le désert, et il fallait planifier son expédition en choisissant le placement des cartes.


La version présentée à Cannes 2020 : Golems - version 17.3 - Mad Max (16 février 2020)

Il y a eu aussi une version basée sur le voyage vers l’Orient, dans la légende chinoise du Roi Singe. Ce thème n’a pas été retenu pour After Us, mais ayant fait beaucoup de recherches sur le sujet, je me suis vraiment intéressé à cette légende de Sun Wukong (en japonais : Son Goku) et j’en ai profité pour en faire un autre jeu, un petit jeu pour 2 joueurs, signé avec Cédric Lefebvre (prévu pour 2024). Revenons à Golems. Chaque version avait ses défauts : un thème peu mis en valeur, mécanique trop complexe, sensation du jeu trop lent… Jusqu’à ce que Clément propose une mécanique que nous n’avions pas encore adaptée à notre prototype : du deckbuilding.


La première version de deckbuilding avec des personnages : Golems - version 23 (24 août 2020)

Cette version était vraiment ce que nous recherchions depuis le début. Nous étions vraiment satisfaits. Mais il fallait ensuite, afin de pouvoir finaliser la cohérence des mécaniques du jeu, trouver un thème. Et ce n’était pas aisé. Les contraintes étaient les suivantes : - on fait interagir 4 cartes, que l’on peut placer dans un certain ordre. - il y a des échanges de ressources entre les cartes (les transformations). C’est une image de l’illustrateur Zariel (http://www.zariel.fr) qui m’a donné l’idée, puis l’envie, de jouer avec des singes à la place des personnages. J’ai donc fait des recherches, sur les types de singes les plus connus, et leur alimentation, pour poser les fondations du jeu final.


La première version du jeu final : Golems - version 23 – Monkeys Rising (16 décembre 2020)

J’aime beaucoup cette phase de recherche. Même si celle-ci fut assez rapide et basique pour ce jeu. J’ai tout de même appris quelques informations sur nos amis simiesques. Notamment, qu’ils ne mangeaient pas que des bananes, et que selon les types de singes l’alimentation était complètement différente. Nous nous sommes efforcés de respecter ceci dans la création du jeu.

Dilemme mécanique : simultané ou interactif ?

La mécanique de base est fixée : on a un deck de cartes, on en pioche 4 à son tour qu’on organise pour collecter et transformer des ressources. Et on en achète de nouvelles pour compléter notre deck. Cependant, les cartes sont trop complexes à lire et analyser pour en faire un deckbuilding « classique » avec une rivière de cartes. Nous décidons donc que les cartes seront faces cachées. On sait ce que l’on va piocher dans son ensemble, mais on devra optimiser notre jeu en fonction des paramètres de la carte, qui seront connus après l’achat. Mais l’absence de rivière marque une absence d’interaction et du fameux « mince, il a pris la carte que je voulais acheter ». Après beaucoup de discussions, la décision est prise. Tant pis pour l’interaction, la force du jeu c’est le « puzzle » des cartes. Et du coup, autant pousser le concept encore plus loin : jouons en simultané. Cela nous a fortement orienté sur la suite, la simultanéité ayant son lot d’avantages et d’inconvénients. + On peut jouer de 1 à 6 joueurs. + La durée de la partie est limitée, quel que soit le nombre de joueurs (45 min environ) - Un manque d’interaction. L’interaction est difficile à mettre en place dans un jeu en simultané de gestion de ressources. A cela s’ajoute que la récompense d’optimiser son jeu est plaisante, mais la frustration de voir un adversaire nuire à cette organisation serait trop forte. Nous limitons donc l’interaction à deux aspects : - Le jeu est une course. Le premier arrivé gagne, et il faut toujours garder un œil sur le plateau central au risque de prendre trop de temps à construire un moteur de jeu qui n’aura pas le temps de démarrer à temps. - Les jetons de choix de recrutement : nous les appelions les jetons « Race for the monkey ». Vous aurez probablement reconnu leur affiliation à la base. On choisit une action pour nous, et on profite des actions des voisins. Bien entendu, la mécanique des jetons est proche de celle de Race for the Galaxy, mais vous y trouverez des différences inhérentes à After Us et sa mécanique. Pour nous, l’interaction positive du jeu (je profite de mes adversaires sans leur nuire) était donc une évidence : tant mécaniquement, que thématiquement : pourquoi les singes reproduiraient-ils les mêmes erreurs que les humains ? (je vous laisse réfléchir à ça avec un bon thé).

Affinage de la mécanique : les 5%

On parle souvent dans la création du ratio 95/5. Faire les 95 premiers % d’un jeu occupent 5% du temps de création. Les 5% finaux demandent 95% du développement. Si ce n’est pas forcément vrai pour tous les jeux, c’est pour celui-ci un constat indéniable. Comme nous étions en train de créer un jeu de deckbuilding avec des cartes cachées, et que nous tendions vers un jeu pour joueurs initiés/experts, nous avions besoin que le jeu soit équilibré aux petits oignons : il ne fallait pas qu’un joueur perde la partie à cause de la carte piochée au hasard. Sinon, autant jouer à Exploding Kittens. De plus, nous nous rendions compte pendant nos tests que souvent une stratégie (un choix de jouer un type de singes spécifique ou un combo de deux types) prenait le dessus sur les autres. Nous la modifions, mais une autre devenait plus puissante. Nous n’étions pas satisfaits à 100% de l’équilibre global du jeu. Clément a donc fait appel à Frédéric Guérard : un mathématicien et informaticien hors-pair, qui a réussi (je ne sais toujours pas comment) à générer un tableau excel avec TOUTES les données du jeu imbriquées. Chaque carte a une valeur pondérée. Et comme tout est lié, si on améliore une carte, ça fait basculer toutes les autres (suivant leur pouvoir, leur type…). A l’aide de cet outil génial, nous avons donc pu équilibrer non seulement toutes les cartes entre elles, mais aussi toutes les types (et donc les stratégies du jeu).


Un aperçu du travail colossal de Frédéric Guérard



Finalisation du thème et illustrations

Plus tard, nous avons réfléchi au but du jeu : que représentent les points de victoire du jeu ? Si les singes se développent, c’est parce que les humains les laissent tranquille. Et la meilleure explication est… qu’il n’y a plus d’humain. Du coup, on joue des singes qui se développent. Qui développent une intelligence collective. Voilà nos points de victoire. « 2083. L’humanité s’est éteinte depuis plusieurs décennies, laissant de simples vestiges de son passage sur Terre. Au fil du temps, la nature a repris ses droits. Dans ce monde en pleine renaissance, les singes poursuivent leur évolution. Ils se regroupent en tribus, se développent, apprivoisent les objets laissés par les humains et progressent dans leur quête du savoir. Vous êtes à la tête d’une de ces tribus et vous devez la guider sur la voie de l’intelligence collective. » C’est quand nous avons imaginé l’histoire du jeu que nous nous sommes vraiment rendus compte que nous venions de créer « La planète des singes : le jeu de société ». Dans un univers proche du célèbre jeu vidéo « Last of Us ». Nous avons fait un brainstorming sur le titre du jeu : on a bien entendu commencé par les blagues (Ape-ocalypse, Ape of you, Orang-Outang emporte le vent, Monkey c’est du poulet, Macaque à la tronçonneuse…) pour se concentrer sur les mots-clés : la fin du monde, et les singes. Monkey Reign… After humanity… AFTER US. Aux illustrations, Vincent Dutrait. Je suis fan de son travail depuis un moment et j’adore l’idée. En plus, il se trouve que dans son book, il y avait cette illustration :


https://www.vincentdutrait.com/galerie/picture.php?/122/category/16

La proposition du titre lui a bien plu, et quelques instants plus tard, il envoyait ça à Catch’Up :


Les aller-retours avec Vincent Dutrait étaient vraiment très enrichissants. Il a une vision du jeu très efficace, réfléchit à l’ergonomie (la facilité de lecture visuelle) et aux couleurs de manière globale. L’association des ressources aux couleurs (fleurs bleues, fruits oranges, graines noires), les couleurs des joueurs, tout est méticuleusement réfléchi. Et mon dieu, ces singes… qu’ils sont magnifiques !!!

After Us

Et maintenant, Après Nous, c’est à vous de jouer. Nous espérons que le jeu saura vous procurer autant de plaisir que nous en avons eu à le développer. En attendant, je suis déjà en train de réfléchir à de nouveaux singes, on ne sait jamais…


jeu after us
After Us
Jeu de deckbuilding et de combinaison de cartes dans un univers post-apocalyptique simiesque. Un jeu pour initiés qui se joue de 1 à 6 joueurs en simultané !
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